Amplifier for Art, Science and Society

Photos: Julien Gremaud

Photos: Julien Gremaud

Série SunDial: NightWatch

Le corps entretient une relation difficile avec les horloges et calendriers qui structurent nos journées. Susan Morris s’intéresse aux façons dont l’individu se (dé)synchronise par rapport à ces systèmes artificiels. Entre 2004 et 2014, l’artiste a enregistré ses phases d’éveil/de sommeil à l’aide d’une Actiwatch (un capteur au poignet utilisé par les chronobiologistes). L’artiste en a d’abord imprimé les résultats à l’encre, à la manière d’un journal intime, avant de développer ce travail sur de grandes tapisseries Jacquard générées directement à partir de ces données récoltées sur le long terme. Son travail révèle à la fois un corps pris dans les routines typiques d’un individu vivant dans une ville du nord de l’Europe à l’ère du capitalisme tardif, et un corps qui n’en fait parfois qu’à sa tête.

Historiquement, le métier Jacquard est la première invention à avoir mécanisé le travail, faisant ainsi entrer dans l’atelier des machines travaillant plus vite et plus longtemps que tout être humain. Ainsi, le travail des ouvriers a été ré-organisé en fonction.
Aujourd’hui d’autres facteurs externes, tels que les changements d’heure, ont aussi un effet sur le corps. Par exemple, dans les semaines suivant le passage à l’heure d’été, les individus ont une plus forte tendance à être déprimés, à avoir des accidents de la route ou à faire des erreurs au travail.

L’Actiwatch a également enregistré la lumière ambiante, naturelle et artificielle à laquelle Morris a été exposée. Les tapisseries montrent que, du fait de l’existence de la lumière artificielle et de la forte pollution lumineuse en ville, l’artiste a passé moins d’un tiers de son temps dans cette intimité que procure l’obscurité où elle aurait pu trouver en quantité suffisante un sommeil vital pour la santé comme pour la perception de soi.
Ces œuvres font partie d’une série développée dans le cadre d’un partenariat sur dix ans avec Russel Foster, professeur de neurosciences circadiennes à l’Université d’Oxford.

Avec l’aimable autorisation de Bartha Contemporary, Londres. Photos: Stefan Rohner, Steve White & Co.

Binary Tapestry (Sunshine)

2016
Tapisserie Jacquard : fil de lin et de coton, 366 x 145 cm.
Avec l’aimable autorisation de Bartha Contemporary, Londres.

Binary Tapestry (Sunshine) relève la quantité de lumière (naturelle et artificielle) à laquelle l’artiste a été exposée au cours de l’année 2012. L’œuvre montre chaque minute de l’année, de haut en bas et de gauche à droite.
Les 366 jours de l’année (2012 était bissextile) s’étalent horizontalement sur la tapisserie. Chaque jour correspond à 1 cm, définissant ainsi la hauteur totale de l’œuvre qui rappelle la fenêtre de la galerie pour laquelle la tapisserie a initialement été conçue, et qui fait écho en retour aux proportions de l’Actigraph produit par le logiciel de l’Actiwatch. La largeur de l’œuvre a été décidée en suivant la même logique.
Débutant dans le coin supérieur gauche à minuit le 1er janvier, l’année se termine en bas à droite, à minuit, le 31 décembre. Des lignes verticales noires créées en étirant le fil de chaîne à la surface de la tapisserie représentent les heures.
L’œuvre est faite de lin brut et d’un unique fil de coton jaune vif pour donner l’impression d’une peinture sur toile. Mais les tapisseries de Morris ne sont pas faites à la main : les données sont converties directement en fil coloré et tissées automatiquement sur un métier Jacquard, l’un des tout premiers systèmes binaires et par là, un précurseur de l’ordinateur.

Avec l’aimable autorisation de Bartha Contemporary, Londres. Photos: Stefan Rohner, Steve White & Co.

Activity and Light 2010-2012 (Tilburg Version)

2014
Tapisserie Jacquard : fil de soie et de lin, 155 x 589 cm.
Avec l’aimable autorisation de la Fondation Collection Centre d’art Pasquart, Bienne.

SunDial:NightWatch_Activity and Light 2010-2012 (Tilburg Version) relève grâce à une Actiwatch les phases d’éveil / de sommeil de l’artiste sur trois ans, ainsi que la quantité de lumière ambiante (naturelle et artificielle) à laquelle elle a été exposée durant cette période.

Le relevé commence en bas à gauche de la tapisserie, à minuit le 1er janvier 2010, et se termine dans le coin supérieur droit, à minuit le 31 décembre 2012. Le temps évolue donc horizontalement, comme s’il s’enroulait. La nuit occupe le tiers inférieur de la tapisserie tandis que les soirées illuminées artificiellement figurent en haut. L’heure de midi occupe le milieu de l’œuvre. Ces trois ans d’enregistrements correspondent à 1 096 jours. Ceux-ci se déroulent verticalement, de gauche à droite, les flux de données de chaque journée individuelle apparaissant côte à côte.
Les couleurs indiquent l’intensité de la lumière, en un dégradé allant du noir (peu ou pas de lumière) à un turquoise clair en passant par diverses nuances de bleu.

L’activité est représentée par un dégradé de fils passant par le noir, l’orange, le violet, et enfin le rouge qui indique le taux maximal d’activité. Les saisons apparaissent clairement sur la période de trois ans : les journées longues en été raccourcissent durant les mois d’hiver. L’artiste a également changé de fuseau horaire par deux fois durant le printemps, ce que l’on aperçoit clairement la première et la troisième année.

Avec l’aimable autorisation de Bartha Contemporary, Londres. Photos: Stefan Rohner, Steve White & Co.

Sleep/Wake 2010-2014 (MLS Version)

2015
Tapisserie Jacquard : fil de soie et de coton, 134 x 178,5 cm.
Avec l’autorisation de Bartha Contemporary, Londres.

SunDial:NightWatch_Sleep/Wake 2010-2014 (MLS Version) relève les phases d’éveil/de sommeil de Morris sur cinq ans. Ces valeurs ont été enregistrées pendant les 1 440 minutes constituant chaque jour ; un « trait » de fil de trame correspond à chaque minute, montrant à la fois le temps qui passe « en un éclair » et le procédé Jacquard lui-même, cet unique fil de trame apparaissant par à-coups, en travers du fil de chaîne.
Dans le respect des conventions adoptées par les chronobiologistes avec qui l’artiste a travaillé, la nuit figure au milieu de la tapisserie, tandis que les matins sont sur le tiers inférieur. L’artiste a changé de fuseau horaire trois fois au cours de ces cinq années. Les évènements les plus frappants sont les changements d’heure, très visibles dans la façon dont les données se décalent cinq fois vers le haut ou le bas.

Enfin, dans les minuscules rangées de fil bleu montrant une minute d’activité à la même heure chaque matin, on aperçoit le moment où l’artiste bouge soudainement sa main lorsque son réveil sonne.
Pour cette œuvre, l’artiste a utilisé du fil de soie, bien plus fin que le coton ou le lin. Étant donné que l’épaisseur du fil dicte la hauteur de la pièce, la tapisserie qui a enregistré la plus longue durée est donc plus petite que celles correspondant à une durée inférieure mais faites de fil plus épais. Ces relevés effectués sur de longues périodes attirent l’attention sur les rythmes répétitifs et les activités qui s’étendent souvent au-delà d’une seule année. Ainsi, cette œuvre fait office de journal de bord d’un individu vivant dans une ville d’Europe du nord, réglée par le temps de l’horloge et du calendrier, qui impose à tou·tes un réveil similaire et l’extension des journées de travail sous lumière artificielle.